Le risque de qualification d’exercice illégal de la médecine plane-t-il toujours sur les personnes non médecin pratiquant l’épilation laser ?

Droit de la santé

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Le 8 novembre 2019, le Conseil d’Etat rendait une décision attendue des professionnels de l’esthétique en prononçant l’annulation d’une décision par laquelle le Ministre des Solidarités et de la Santé avait refusé d’abroger les dispositions du 5° de l’arrêté du 6 janvier 1962 réservant la pratique de l’épilation laser et de la lumière pulsée aux médecins (Conseil d’Etat, 8 novembre 2019, 424954).

Plus précisément, le Conseil d’Etat a considéré dans cet arrêt que si la protection de la santé publique était un motif pouvant justifier une restriction de la liberté d’établissement et la libre prestation de services prévues par le droit européen (articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne), il ne ressortait pas des éléments avancés par l’Etat que la protection de la santé publique imposait de réserver ces pratiques d’épilation aux seuls médecins.

En application de cette annulation, le Conseil d’Etat demandait aux autorités compétentes, dans un délai raisonnable, d’abroger les dispositions du 5° de l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 réservant la pratique du laser et de la lumière pulsée aux médecins mais également de prendre les mesures nécessaires pour encadrer ces pratiques afin de garantir à la fois le respect des règles du marché intérieur de l’Union européenne et la protection de la santé publique.

Une telle décision était particulièrement attendu dès lors qu’en application de l’arrêté du 7 janvier 1962 toute personne pratiquant l’épilation laser ou la lumière pulsée sans être médecin était susceptible de se voir condamner pénalement pour exercice illégal de la médecine (L4161-1 du code de la santé publique). Les praticiens travaillant dans des cabinets ou centres de médecine esthétique ou de tels actes étaient pratiqués par des esthéticiennes pouvaient également se voir condamner, pénalement et disciplinairement, pour complicité d’exercice illégal de la médecine.

Or, force est de constater qu’à ce jour les autorités compétentes n’ont toujours pas mis à exécution les injonctions du Conseil d’Etat et que l’ancien régime réservant la pratique de l’épilation laser et de la lumière pulsée aux médecins est de ce fait toujours applicable.

Par un arrêt du 2 février 2023, le Conseil d’Etat, constatant que sa précédente décision n’avait toujours pas été suivie d’effet, a mis en demeure l’Etat de s’exécuter (CE, 2 février 2023, n° 468009).

Or, un grand nombre de centres esthétiques spécialisés dans l’épilation laser réalisée par des esthéticiennes, sous l’éventuelle supervision d’un médecin, se sont déjà ouverts depuis 2019. Il convient dès lors de se demander quels risques pèsent sur eux eu égard à la législation de 1962 toujours en vigueur ?

En réalité, ces risques apparaissent limités dès lors que les juridictions semblent, de manière unanime, refuser les condamnations pour exercice ou complicité d’exercice illégal de la médecine :

  • Par deux arrêts du 31 mars et du 20 octobre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé, sur le fondement des dispositions européennes précitées et de l’arrêt du Conseil d’Etat de 2019, de condamner des non-médecins ayant pratiqué l’épilation à la lumière pulsée (Cass. Crim., 31 mars 2020, n°19-95.121 ; Cass. Crim., 20 octobre 2020, n°19-86.718).
  • Par deux arrêts du 19 mai 2021, les juridictions civiles semblent également s’être alignées sur cette position en refusant de considérer comme illégal un contrat de franchise ayant pour objet principal la réalisation d’actes d’épilation à la lumière pulsée par des non-médecins (Cass. Civ., 1re, 19 mai 2021, n°19-25.749 et 20-17.779).

Si ces arrêts ne concernent que la lumière pulsée et pas l’épilation laser, force est de constater que le raisonnement devrait être sensiblement le même dès lors que la décision du Conseil d’Etat vise spécifiquement ces deux pratiques.

  • De son coté, le Conseil national de l’Ordre des médecins a, selon un raisonnement similaire, considérablement modifié sa jurisprudence à l’égard des praticiens poursuivis pour complicité d’exercice illégal de la médecine pour avoir exercés dans des centres où l’épilation laser était pratiquée par des non-médecins, en considérant désormais qu’ils pouvaient se prévaloir de la décision du Conseil d’Etat 8 novembre 2019 pour écarter ce grief (CNOM, 21 octobre 2021, n°13860 et 13960).

En application de ces décisions, il convient de considérer que si le régime du monopole du médecin pour l’épilation laser est toujours en vigueur, les risques de condamnation pesant sur des non-médecins réalisant de telles prestations apparaissent tout à fait limités.

Néanmoins, un état des lieux devra être réalisé lorsque la nouvelle réglementation sera édictée, et il faudra que ces centres se mettent en conformité si nécessaire.

A cet égard, par une décision du 27 juillet 2023, la Haute Autorité de Santé a validé un projet de décret soumis par le gouvernement et prévoyant les modalités de formation des personnes amenées à pratique l’épilation laser, sans qu’aucune aucune qualification médicale (infirmière, médecin…) ne soit évoquée.

Il convient d’espérer que la nouvelle réglementation soit désormais rapidement publiée et promulguée afin de lever l’incertitude juridique encadrant toujours à ce jour le régime applicable à l’épilation laser.

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