Cotisations sociales pour les SEL ? Entre étonnement et incertitudes

Droit des sociétés

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« Les bénéfices de la société d’exercice libérale (SEL), au sein de laquelle le travailleur indépendant exerce son activité, constituent le produit de son activité professionnelle et doivent entrer dans l’assiette des cotisations sociales dont il est redevable, y compris lorsque ces bénéfices sont distribués à la société de participations financières de profession libérale (SPFPL) qui détient le capital de la société d’exercice libéral » : c’est ce qu’a récemment affirmé la Cour de cassation aux termes d’un arrêt en date du 19 octobre 2023 publié au bulletin, qui a été accueilli avec étonnement par la pratique (C.cass. Civ. 2e, 19 octobre 2023, n°21-20.366).

Dans cette affaire, un chirurgien-dentiste, qui exerçait son activité par l’intermédiaire d’une SELARL dont il détenait directement 1% des parts, les 99% autres étant détenues par la SPFPL qu’il avait créée à parts égales avec son épouse, avait vu les dividendes versés par sa SELARL à la SPFPL soumis aux cotisations sociales par la Caisse autonome de retraite.

Saisis de la contestation du praticien, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône puis la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ont confirmé la position de la Caisse (CA Aix-en-Provence, 11 juin 2021, n° 20/09464), de sorte qu’il s’est pourvu en cassation.

Aux termes de son arrêt du 19 octobre 2023, la Cour de cassation rejette son pourvoi : au visa de l’article L. 131-6, III du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, relatif aux cotisations de sécurité sociale sur les revenus d’activité des travailleurs indépendants non agricoles, elle énonce que l’associé exerçant au sein d’une SEL est assujetti aux cotisations sociales sur les distributions de dividendes réalisées par la société, y compris lorsque ces dividendes sont versés à une SPFPL.

La position de la Haute Cour revient finalement à dénier – au regard des cotisations sociales – à la fois le principe de la personnalité morale de la SPFPL (voire de la SEL) et le régime d’imposition à l’IS de ces sociétés, puisqu’elle intègre ici à l’assiette des cotisations les dividendes remontés dans la SPFPL, mettant l’associé exerçant dans la même situation que s’il exerçait individuellement ou au sein d’une structure transparente fiscalement.

Si les tribunaux ont déjà pu remettre en cause, sur le fondement de l’abus de droit, les organisations sociétaires ayant pour seul but de réduire l’assiette des cotisations sociales, la Cour de cassation ici aborde la question sur un autre terrain que la fraude, en retenant une appréciation très large de l’assiette des cotisations intégrant ainsi « les bénéfices de la société d’exercice libérale ». Sur le fondement de cet arrêt, on pourrait considérer que les bénéfices de la SEL entrent dans l’assiette des cotisations sociales qu’ils soient ou non remontés à la SPFPL, et sans même prendre en considération le fait que la SPFPL pourrait quant à elle ne pas distribuer de bénéfices, ou en affecter à certains de ses associés non exerçants.

Selon d’autres interprétations moins extensives de l’arrêt, où seuls les dividendes entreraient dans l’assiette des cotisations, d’autres incertitudes demeurent : par exemple, si un solde de bénéfices affecté en réserve était ultérieurement distribué, serait il également soumis à cotisations sociales ? le bénéfice distribué par la SPFPL aux associés exerçants entrera-t-il aussi dans l’assiette des cotisations sociales, alors même qu’il est généralement composé principalement des dividendes remontés de la SEL (et donc déjà soumis à cotisations), entraînant ainsi une double « imposition » ?

Cette décision a été rendue dans le cas d’un associé exerçant unique, et il est donc possible de s’interroger sur son applicabilité à une SEL détenue par plusieurs associés exerçants où la détermination du montant des revenus de chacun par référence aux bénéfices dégagés est plus complexe, et dépend moins de la seule volonté de l’associé mais d’un accord collectif.

Il n’en demeure pas moins que l’esprit global de la décision est d’affirmer que les cotisations sont établies sur les revenus professionnels, c’est-à-dire sur les revenus qui résultent de l’activité libérale, peu importe les montages juridiques mis en place, et notamment l’existence de sociétés intermédiaires.

Cette décision sème un vent d’inquiétude sur les professionnels libéraux, dont certains comptent sur les bénéfices perçus par leur holding pour rembourser l’emprunt que cette dernière a généralement dû réaliser pour acheter leurs parts dans la SEL.

Une chose est sûre, les applications pratiques de cette décision demeurent incertaines et il faut espérer une clarification, ou encore que sa portée se limitera aux situations similaires aux faits de l’espèce.

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