Du nouveau en matière de recevabilité d’un moyen de preuve illicite

Droit des sociétés

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La Cour de cassation vient de rendre une décision très importante pour l’employeur sur le droit de la preuve, qui repose depuis plusieurs années sur un principe de loyauté consacré par la jurisprudence.
La preuve obtenue à l’insu de l’intéressé par une manœuvre ou un stratagème était en effet déclarée irrecevable par les juges du fond (Cass, Ass Plén., 7 janvier 2011, n°09-14.316).

Une telle limitation dans l’administration de la preuve a donné lieu à un contentieux important devant la Cour européenne des droits de l’Homme, qui dans plusieurs arrêts a reconnu un principe de mise en balance entre le droit des requérants au respect de leur vie privée et l’intérêt pour l’employeur d’assurer la protection de ses droits. Ainsi, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, elle a pu admettre des moyens de preuves illicites pour justifier le licenciement de salariés comme la vidéosurveillance sans information préalable des salariés afin de démontrer des vols. (CEDH 17 octobre 2019, 1874/13).

Sous l’influence de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation a amorcé un premier pas il y a trois ans vers l’admissibilité des preuves illicites ou déloyales. Par un arrêt du 30 septembre 2020, elle a reconnu qu’une preuve portant atteinte à la vie privée d’une salariée ne devait pas être nécessairement rejetée des débats, dès lors qu’elle était proportionnée au but poursuivi et défendait l’intérêt légitime de l’employeur. (Cass, soc 30 septembre 2020, n°19-12.058).

Après plusieurs décisions allant dans le même sens (Cass soc 25 novembre 2020 n°17-19.523 ; Cass, soc 10 novembre 2021 n°20-12.263), la Cour de cassation vient d’opérer un revirement définitif.

Par deux arrêts du 22 décembre 2023 (Ass. Plén., 22 décembre 2023 n°20-20.648 et n°21-11.330), la Cour de cassation a estimé qu’« il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. »

Ce faisant, elle a admis que les transcriptions d’enregistrements clandestins d’entretiens avec le salarié par l’employeur pouvaient être utilisés pour rapporter la preuve de son comportement fautif et justifier en conséquence son licenciement.

Cette décision a néanmoins été précédée du rappel qu’est irrecevable la preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème, au motif que la justice doit être rendue loyalement : « Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

Cet arrêt ouvre des perspectives intéressantes pour l’employeur qui peut désormais dans le cadre judiciaire soumettre des preuves obtenues à l’insu du salarié. Il doit néanmoins garder à l’esprit que de telles pièces peuvent être retenues à condition qu’elles soient indispensables à la manifestation de la vérité et que l’atteinte à d’autres droits (notamment au respect de la vie privée) soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En définitive, il s’agit désormais pour le juge d’admettre une preuve illicite ou déloyale seulement dans l’hypothèse où aucune autre preuve ne permette de l’éclairer ou de résoudre le litige.

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