Les conseils des prud’hommes vont-ils disparaître ?

Droit des affaires

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Les conseils des prud’hommes vont-ils disparaître ?

Cette question aurait pu paraître inepte il y a encore quelques années, tant le contentieux prud’homal était massif. Ainsi en 2009, 228 600 demandes nouvelles étaient encore comptabilisées, peu après l’instauration de la rupture conventionnelle. En 2017, on ne comptait plus que 127 000 saisines du conseil de prud’hommes. En 2018, une baisse des saisines par rapport à l’an passé est de nouveau constatée, plus ou moins significative selon les conseils de prud’hommes. Explications d’un phénomène de grande ampleur, non sans conséquence pour les entreprises.

Les raisons d’un tel reflux : de la rupture conventionnelle à la « barémisation » des indemnités prud’homales

La décrue des saisines prud’homales a démarré avec la mise en place de la rupture conventionnelle qui s’est généralisée après qu’employeurs comme salariés aient reconnu en ce mode amiable de rupture du contrat de travail un procédé alternatif efficace au licenciement et à la démission. Pour les premiers, elle permettait de s’affranchir de la lettre de licenciement et de réduire de façon drastique le risque de contentieux tout en limitant le coût de la sortie d’un collaborateur, trois licenciements sur quatre étant généralement contestés par voie judiciaire. Pour les seconds, elle leur donnait la possibilité d’accéder à l’assurance chômage malgré une volonté non équivoque de perdre leur emploi. Une première baisse significative du contentieux prud’homal avait alors été observée, passant de 228 600 demandes nouvelles en 2009 à 188 600 en 2014.

La réforme de la procédure prud’homale entérinée par la loi du 6 août 2015 a accéléré la baisse des procédures devant le conseil de prud’hommes, lesquels doivent désormais être saisis par voie de requête (ou en remplissant les six pages du Cerfa n° 15586) depuis le 1er août 2016 (150 500 instances engagées en 2016, 127 000 en 2017). Enfin, le plafonnement des indemnités prud’homales, l’une des mesures emblématiques des ordonnances dites Macron du 22 septembre 2017, pourrait avoir rempli son objectif au vu de la poursuite de la baisse des saisines prud’homales en 2018 (moins de 120 000), quoique selon le rapport d’évaluation des ordonnances qui vient d’être publié, on ne peut établir avec certitude un lien entre l’instauration du barème et l’activité des juridictions prud’homales en raison du manque de recul temporel.

La baisse du contentieux prud’homal va-t-elle continuer ?

Il est probable que la réduction du contentieux prud’homal persiste au regard d’autres dispositions issues de l’ordonnance  » relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail  » du 22 septembre 2017, venant restreindre drastiquement les marges de manœuvre des salariés souhaitant contester leur licenciement : les six modèles de lettres de licenciement publiés par décret du 29 novembre 2017 permettant d’éviter des rédactions hasardeuses et non motivées, la possibilité offerte à l’employeur (L.1235-2 du code du travail) de préciser le motif du licenciement dans les quinze jours suivant l’envoi de la lettre ou encore la réduction à une année du délai d’action devant le conseil de prud’hommes d’une demande de réparation d’un licenciement.

Une stabilisation devrait néanmoins s’opérer dans les prochains mois, et ce pour plusieurs raisons. Si les efforts de certains défenseurs salariés pour faire juger inconstitutionnels et non conventionnels le barème indemnitaire n’avaient jusqu’à ce jour pas été récompensés (jugement du conseil de prud’hommes du Mans du 26 septembre 2018), le conseil de prud’hommes de Troyes vient d’écarter le barème dans un jugement du 13 décembre 2018 au motif qu’il violait la charte sociale européenne et la convention n°158 de l’OIT. De quoi faire renaître l’espoir pour les salariés d’être indemnisés en fonction de leur préjudice et non seulement par référence à un barème préétabli, bien qu’il faille rappeler que ce sera la Cour de cassation qui sera amenée à trancher un jour ce débat.

On constate par ailleurs un glissement des actions judiciaires vers des contentieux non soumis aux barèmes, qui ont encore de beaux jours devant eux. Sont concernés à la fois les litiges sur le temps de travail (heures supplémentaires, annulation des conventions de forfaits jours), les demandes d’indemnisation des circonstances vexatoires du licenciement, ou encore les requêtes en annulation d’un licenciement pour un motif discriminatoire ou les demandes de réparation pour cause de harcèlement moral, actions pouvant être engagées dans ces deux cas dans un délai de cinq ans. On peut même prendre le pari que les conseillers prud’homaux, désormais tenus par les barèmes, seront plus regardants sur ces demandes accessoires, jusqu’à ce jour souvent jugées avec une grande sévérité.

En outre, en ayant conféré au conseil de prud’hommes le traitement des litiges consécutifs à la constatation de l’inaptitude médicale du salarié par le médecin du travail par la loi du 8 août 2016, dite loi El Khomri, le législateur a ouvert un nouveau champ d’action judiciaire qui relevait auparavant de la compétence de l’inspecteur du travail. Ce contentieux très complexe et technique devrait continuer à prendre de l’ampleur et continuer à remplir les rôles des conseils de prud’hommes

Les conseils de prud’hommes peuvent-ils disparaitre ?

A l’évidence, la justice prud’homale est elle aussi désormais frappée de plein fouet par le mouvement législatif de déjudiciarisation que connaît la France depuis plusieurs années dans les matières autant civiles que pénales (divorce devant notaire, litiges soumis à des autorités administratives, amendes forfaitaires pour certaines infractions pénales). En outre, la médiation est désormais de plus en plus conseillée par les juges eux-mêmes qui y voient un moyen de résolution des conflits plus efficace et rapide. Enfin, son accès a été rendu plus difficile notamment en procédure d’appel pour laquelle la représentation par avocat ou délégué syndical est désormais obligatoire depuis le 1er août 2016.

Il n’en reste pas moins qu’elle ne disparaîtra pas car le juge restera toujours malgré ses imperfections un garant de l’ordre juste, le gardien vigilant de la loi écrite. Contrairement à ce qu’elles pourraient penser, les entreprises – malgré la crainte qu’elles nourrissent des conseils de prud’hommes – ont tout à gagner à ce que les certitudes du salarié continuent à être battues en brèche par le juge prud’homal qui – plus souvent qu’elles ne le pensent – perçoit bien les intérêts de l’entreprise. Et ce pour s’éviter que leurs salariés considèrent comme un droit définitivement acquis et ne pouvant être remis en cause l’indemnisation relative à la rupture de leur contrat de travail.

Enfin, l’actualité la plus récente nous enseigne que l’institution judiciaire doit continuer à être le lieu par excellence qui accueille celui qui réclame justice, le réceptacle qui reçoit les colères humaines et sociales. Et ce pour éviter que la société toute entière pâtisse d’une montée de la violence, corollaire de l’injustice. En ces temps troublés, le législateur serait bien avisé d’y songer…

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